« Charlie Hebdo » : la mobilisation massive ne doit pas excuser le désengagement quotidien
Par Société des agrégés, le 18 janvier 2015
Hier une manifestation sans équivalent dans l’Histoire de France, aujourd’hui trois millions d’exemplaires de l’hebdomadaire « Charlie Hebdo » si rapidement vendus que le journal s’apprête à réimprimer des exemplaires, jusqu’à atteindre les sept millions. Et demain ?
Trois millions de lecteurs ?
Les finances de « Charlie Hebdo » allaient mal. On peut supposer que, si ces événements n’avaient pas eu lieu, après avoir connu des difficultés de trésorerie comme de nombreux titres de presse ces derniers temps, l’hebdomadaire serait mort dans l’indifférence, comme d’autres journaux. Oublions-nous, par exemple, que « Libération » qui a accueilli la rédaction de « Charlie Hebdo » ces derniers jours a engagé un plan de départs volontaires ?
Il est terrible de penser qu’il faille des morts pour découvrir que la presse est précieuse en démocratie et que la pluralité des publications de toutes sensibilités est essentielle. Comme des enfants gâtés devant la surabondance d’informations, nous préférons de plus en plus le gratuit et le ponctuel, oublieux des nécessités du fonctionnement d’un vrai journal. Car c’est tous les jours qu’il doit vivre, pas seulement lorsque l’on en a besoin ou subitement envie. Et il doit être assez doté pour rémunérer correctement des journalistes travaillant dans de bonnes conditions.
Une addition d’engagements individuels et volatiles ?
En tant que présidente d’association (et directrice de publication), je le constate, l’engagement est devenu de plus en plus individuel et volatile. Combien de soutiens sur Facebook ? Combien de demandes d’interventions – « votre association devrait faire ceci », « votre association devrait s’engager à cela », « c’est votre rôle de » ? Combien de demandes d’assistance ? Toutes sollicitations sans engagement au long cours…
Or la dématérialisation des échanges n’a pas supprimé les nécessités administratives et financières de tout organisme, association ou organe de presse.
Pour un engagement quotidien
Que ce soit en achetant régulièrement un journal ou plusieurs, en s’engageant dans une association à la mesure de ses moyens, il vaut mieux un engagement constant et modique qu’une grande démonstration de force un jour.
Pour que cette manifestation et l’achat massif de « Charlie Hebdo » aient été autre chose que la matérialisation de nos mobilisations ponctuelles et épidermiques, pour que le nombre des manifestants et des exemplaires vendus ne masque pas notre inertie bien réelle, il faut que nous prenions conscience de la nécessité d’un engagement quotidien.
Publié dans le Nouvelobs + le 17 janvier 2015.