Lettre au Président de la République
Par Société des agrégés, le 14 janvier 2020
Cette lettre a été envoyée le 12 décembre 2019.
À Monsieur Emmanuel Macron
Président de la République
Monsieur le Président de la République,
Permettez-moi de vous transmettre les vœux adoptés par le Comité de la Société des agrégés lors de sa dernière réunion.
Mes collègues m’ont demandé de me faire auprès de vous l’interprète de leur profond désarroi devant la réforme des retraites, qui va les toucher durement. Notre secrétaire général, après avoir établi une simulation, constate en effet, avec le changement de mode de calcul, une amputation de près d’un tiers du montant de la pension moyenne d’un agrégé. Par comparaison, il a calculé que les magistrats judiciaires, qui commencent et achèvent leur carrière aux mêmes indices que les agrégés, verront leur retraite quasi inchangée. L’explication est simple : ils arrivent à l’échelon le plus élevé près de 10 ans avant les agrégés et bénéficient de primes pouvant aller jusqu’à 60% de leur traitement.
Les agrégés, exclus de toute revalorisation spécifique depuis plusieurs décennies, sont les professeurs qui ont le plus perdu en pouvoir d’achat. Pour atteindre le pouvoir d’achat des années 80 (et rapprocher le traitement des agrégés des autres cadres A+ de la Fonction publique), il faudrait augmenter de près de 25% leur salaire. Nous le constatons chaque jour devant les difficultés de nos collègues pour financer leur logement en région parisienne, voire la garde de leurs enfants.
Cette diminution de leurs ressources est allée de pair avec une déconsidération croissante, au sein même de la plupart des institutions de la République. J’ajoute que le récent bilan social publié par le ministère, distinguant les progressions de carrière par sexe, tout comme nos propres travaux concernant les affectations, ont montré que les femmes agrégées sont plus mal loties que leurs collègues masculins.
Vous comprendrez alors, Monsieur le Président, la stupéfaction ressentie devant les propos que vous avez tenus lors d’une réunion publique sur les retraites. En disant à plusieurs reprises que « tout le monde ne peut pas être agrégé », vous avez contribué – malgré vous, sans doute – à renforcer l’image de « privilégiés », voire d’« aristocrates » qui nous est perpétuellement renvoyée, y compris au sein de l’Éducation nationale elle-même.
Nous ne sommes pas des privilégiés, Monsieur le Président, mais des professeurs engagés, désireux de maintenir, par l’intensité de notre préparation, par l’excellence de notre concours, le niveau du système éducatif français. Au sein de notre association, des professeurs agrégés bénévoles assistent les candidats au concours ; ils interviennent aussi auprès de leurs collègues dans les établissements. Ils sont le vivier permettant de maintenir le bateau à flot, ne cédant jamais au renoncement malgré la baisse de leur niveau de vie, malgré la dévalorisation de leur métier, malgré le mépris, parce qu’ils continuent de croire dans la transmission des savoirs et dans leur mission de service public. À niveau d’études égal, les énarques, que leur carrière amène aux postes décisionnels, ont apparemment toujours mieux su défendre leurs intérêts…
Lors de votre arrivée, Monsieur le Président, nous vous avions fait part de nos espoirs, de la nécessité d’une modernisation de l’Éducation nationale, une modernisation structurelle, celle des ressources humaines, celle de l’accompagnement et d’une formation continue de haut niveau des professeurs, celle d’une institution reconnaissant l’implication et les compétences comme les connaissances de ses cadres. Nous vous avions écrit notre engagement, notre volonté d’être présents et d’accompagner ces transformations nécessaires à l’excellence du système d’enseignement français. En réponse, vous nous aviez promis que nous pourrions compter sur vous.
Dans cette attente, nous vous adressons, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre respectueuse considération.