Vœu de l’AG : les priorités de la Société des agrégés pour redonner du sens au métier de professeur
Par Société des agrégés, le 27 janvier 2025
L’Assemblée générale de la Société des agrégés, réunie le 25 janvier 2025, ne peut que constater la dégradation constante de l’enseignement et de la condition enseignante, qui se traduit notamment par une perte croissante d’attractivité du métier de professeur.
Les ministres, qui se succèdent à un rythme inédit, ne semblent pas, au-delà des paroles, prendre conscience de la situation réelle de l’enseignement et poursuivent invariablement la même politique.
Dans ces conditions et dans le prolongement du vœu du Comité du 30 novembre 2024, où elle avait lancé un cri d’alarme devant l’état de l’enseignement et réaffirmé sa position sur les réformes du collège et du lycée, ainsi que sur le projet de réforme de la formation initiale et du recrutement des professeurs, la Société des agrégés souhaite rappeler aux autorités ministérielles actuelles ses priorités pour redonner du sens au métier de professeur et y attirer les meilleurs des étudiants.
Le cœur du métier : la transmission du savoir
La fonction première d’un professeur, la raison de son engagement est d’instruire les élèves en leur transmettant des connaissances et des méthodes, ce qui implique la réhabilitation du savoir. La priorité de la transmission du savoir doit se traduire dans les programmes, dans les horaires d’enseignement, dans les exigences à attendre des élèves, dans la formation et le recrutement des professeurs, dans la définition de leurs missions et les modalités d’évaluation.
Des concours de recrutement exigeants
La reconnaissance de cette fonction première implique que les professeurs soient recrutés par des concours exigeants qui vérifient et garantissent la maîtrise disciplinaire des candidats. La Société des agrégés le répètera inlassablement : on ne peut bien enseigner, à l’école, au collège et au lycée, que ce que l’on domine soi-même. Élisabeth Borne doit donc renoncer à la réforme du recrutement, préparée par ses prédécesseurs, qu’elle s’apprête à relancer : contrairement à ses déclarations du 17 janvier, une telle réforme n’améliorerait en rien les « conditions d’exercice des professeurs » en les «[préparant mieux] à leur entrée en fonction ».
En effet, un concours qui se situerait en troisième année de licence ne permettrait pas de s’assurer que les candidats dominent leur discipline. La Société des agrégés demande que le CAPES se situe à bac + 4, après la licence, avec une année spécifique de préparation au concours, et comporte des épreuves écrites et orales disciplinaires. En effet, la maîtrise de sa discipline est la première des compétences pédagogiques et la condition de toutes les autres.
Création d’instituts comparables aux IPES1
La Société des agrégés demande instamment la création de formations, ouvertes à tous les étudiants des universités et des classes préparatoires aux grandes écoles se destinant à l’enseignement et sélectionnés sur des épreuves disciplinaires, pour préparer les concours du CAPES et de l’agrégation en rémunérant les élèves-professeurs qui signeraient un engagement décennal. Un tel dispositif de recrutement a fait ses preuves et permettrait d’assurer un contingent de professeurs motivés et compétents tout en levant les obstacles financiers résultant de longues études.
Libérer les professeurs des tâches accessoires
À tous les niveaux d’enseignement – primaire, secondaire et supérieur –, les professeurs se plaignent des multiples tâches accessoires qui accaparent une grande partie de leur temps et les détournent de leur fonction première de transmission des connaissances. Les professeurs doivent pouvoir se concentrer sur leur mission d’enseignement pour laquelle ils se sont engagés dans ce métier. Au lieu de leur faire miroiter des perspectives de reconversion, le gouvernement devrait chercher prioritairement à donner envie aux professeurs de rester professeurs ou leur permettre, lorsque les demandes existent, d’accéder à une évolution de carrière mieux orchestrée entre les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur.
Encourager la recherche
Beaucoup d’agrégés souhaitent avoir des activités de recherche, qui sont un complément naturel de l’enseignement (thèse, publications, participation à des séminaires, à des colloques…). Elles doivent être encouragées, reconnues dans la carrière – par exemple en étant officiellement prises en compte dans la formation continue – et favorisées par des aménagements d’emploi du temps, y compris s’ils enseignent dans le second degré.
L’exercice responsable de la liberté pédagogique
Il faut faire confiance à l’expertise des professeurs et leur accorder une plus grande autonomie dans la conduite de leurs classes, ce qui implique une plus grande responsabilité. Pour qu’ils puissent exercer leur liberté pédagogique de façon responsable, dans le respect des programmes, ils doivent bénéficier d’une formation disciplinaire solide et d’une formation pratique visant à leur permettre de choisir les méthodes de transmission des savoirs les plus adaptées aux classes dont ils ont la charge. Il faut donc que leur soient présentées objectivement les différentes conceptions et pratiques, les conditions dans lesquelles elles ont montré ou non leur efficacité, sans jamais tomber dans le dogmatisme.
Cette liberté pédagogique, fondamentale si l’on veut que les professeurs soient de véritables concepteurs de leurs cours, capables d’adapter leurs enseignements aux élèves qui leur sont confiés, et non de simples exécutants, appliquant des méthodes prescrites, doit être développée et préservée. Force est de constater qu’elle est progressivement altérée par des injonctions diverses, par des consignes résultant de modes pédagogiques, par l’imposition de progressions communes, comme c’est le cas, par exemple, avec les « groupes de besoins » au collège.
La création de manuels labellisés semble faire croire qu’il y aurait des recettes toutes prêtes de pédagogie, alors qu’un manuel, quel qu’il soit, ne peut avoir d’utilité que si le professeur, disposant d’un niveau de maîtrise suffisant de sa discipline, sait prendre du recul par rapport au manuel et faire des choix pédagogiques en fonction de ses classes et de ses objectifs.
Instaurer un climat de confiance en améliorant la gestion des ressources humaines…
L’Assemblée générale estime qu’il faut faciliter les échanges et le dialogue entre la hiérarchie (ministère, rectorat et direction des établissements), l’inspection pédagogique et les personnels d’enseignement. L’État employeur doit rompre avec une conception trop managériale et technocratique des ressources humaines. Les affectations doivent mieux tenir compte de la qualification, des compétences et des situations personnelles des professeurs.
Tous les personnels de l’Éducation nationale, à tous les niveaux, doivent contribuer solidairement à instaurer un climat de confiance, bénéfique au bon fonctionnement du système éducatif. À cet égard, il est souhaitable que les personnels de direction soient recrutés prioritairement parmi des professeurs ayant une expérience réussie de l’enseignement, notamment parmi des agrégés.
… et en rétablissant l’autorité
Il faut impérativement rétablir l’autorité des professeurs. Si elle se fonde avant tout sur l’autorité de leur savoir, ce qui suppose une formation initiale solide, elle doit être soutenue, à tous les niveaux, par la hiérarchie. Il faut proscrire définitivement l’attitude du « pas de vague », consistant à minimiser ou à ne pas signaler les incidents qui se produisent. Des sanctions adaptées et effectives doivent pouvoir être prises, en fonction de la gravité des faits, par le professeur, le chef d’établissement ou le conseil de discipline. En particulier, lorsqu’un élève adopte en classe, quelles qu’en soient les raisons, un comportement qui nuit à son instruction et à celle de ses condisciples, le professeur doit pouvoir prononcer une exclusion brève mais immédiate et effective. Loin d’être une interruption de l’action éducative, une telle mesure en fait pleinement partie en ce qu’elle enseigne que toute activité collective implique le respect de règles de conduite.
Une revalorisation financière indispensable du métier de professeur
Le Premier ministre lui-même a devant le Sénat reconnu « la faiblesse des salaires de l’Éducation nationale », rappelant que quand il était ministre de l’Éducation nationale (1995-1997), le niveau du traitement des nouveaux enseignants « était supérieur à 2,5 fois le Smic » alors que « nous sommes aujourd’hui dans des marges beaucoup plus faibles ».
Pour rendre le métier de professeur plus attractif et y attirer les meilleurs des étudiants, le gouvernement doit procéder à une revalorisation indiciaire significative de tous les corps, grades et échelons des personnels de l’Éducation nationale. En ce qui concerne les agrégés, l’objectif doit être d’atteindre l’échelle lettre A à la fin de la classe normale et l’échelle lettre B à la hors-classe, la classe exceptionnelle pouvant atteindre l’échelle HEB bis. Cet objectif doit être garanti par un plan pluriannuel de revalorisation.
Dans l’immédiat, le gouvernement doit rétablir le versement de l’indemnité de garantie individuelle du pouvoir d’achat (GIPA). Dans l’avenir et d’une façon générale, il serait souhaitable que les traitements soient indexés sur l’inflation.
Les limites de l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA)
L’IA doit être un outil au service de l’enseignement et ne saurait remplacer l’intelligence humaine. Il faut donc préparer les professeurs et les élèves à une utilisation maîtrisée de cette nouvelle technique. Rien ne serait plus dangereux que de substituer des connaissances livrées par l’intelligence artificielle aux savoirs acquis de manière réfléchie ou aux cours conçus avec discernement en fonction de leurs destinataires.
Accroître l’égalité des chances
Les professeurs sont attachés aux principes de l’école républicaine, à sa capacité de dispenser un enseignement exigeant sur tout le territoire, à son ambition de permettre à tous les élèves, quel que soit leur milieu d’origine, de tendre vers l’excellence, à sa volonté de promotion culturelle, intellectuelle et sociale de tous.
Comme elle l’a souligné lors de la réunion du Comité, la Société des agrégés estime que le déterminisme social est une réalité, mais n’est pas une fatalité. Les conditions de vie des parents, leurs ressources économiques et culturelles, leur habitat, sont plus ou moins favorables à la réussite scolaire. Il appartient à l’État de faire en sorte de réduire au maximum ces disparités par des mesures sociales, financières et pédagogiques.
En outre, force est de constater que, dans beaucoup d’écoles et dans certains établissements du secondaire, la disparité des niveaux de recrutement des titulaires, la faible formation des contractuels rendent impossible toute forme d’égalité des chances pour les enfants issus des milieux défavorisés. Des mesures incitatives doivent être prises pour garantir, sur tout le territoire, la présence d’enseignants qualifiés, recrutés à un niveau exigeant.
On ne pourra rehausser le niveau de l’enseignement qu’en rehaussant le niveau scientifique de tous les professeurs recrutés. On n’attirera vers l’enseignement les meilleurs des étudiants qu’en redonnant du sens à cette mission fondamentale d’instruction et d’émancipation par une plus grande considération du savoir et une reconnaissance morale, sociale et financière du métier de professeur. Toute autre politique serait stérile et ne pourrait que contribuer à la poursuite du déclin de l’enseignement.
- Instituts de préparation aux enseignements de second degré. ↩︎