Réforme du collège : complexité et low cost
Par Société des agrégés, le 11 mai 2015
L’Éducation nationale est en pleine fabrication d’une de ces réformes dont elle a le secret. Quelques propositions recuites (ah, quel beau sujet que l’interdisciplinarité des origines à nos jours !), un zeste de provocation (le professeur de latin caricaturé en vieux chauve radotant devant une salle vide), une modernité mal comprise (à bas les langues anciennes, ça ne sert à rien !), un antiélitisme primaire (à sac, les classes bilangues et les langues vivantes, l’allemand c’est trop compliqué, il n’y a que Jean-Marc Ayrault et Bruno Le Maire qui sachent encore le parler), une surdité à toute épreuve devant les questions et arguments de la base (pourquoi écouter les professeurs quand on sait si bien les indisposer ?) alliée à une rigidité qui ne peut conduire qu’à l’affrontement, la ministre ayant fermé toute possibilité de négociation.
Une nouvelle machine à gaz trop complexe
Moyennant quoi, le projet de nouveau collège figure en bonne place parmi les machines à gaz produites par l’administration qui se plaît à admirer son reflet dans les textes réglementaires sans jamais s’interroger sur leur mise en pratique. Qu’on regarde plutôt : multiplication des demi-heures dans les emplois du temps, création d’enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) dont la répartition dépendra de chaque établissement, qui pourront être, au choix, trimestriels ou annuels et auxquels pourront éventuellement s’ajouter des enseignements de complément pris sur une dotation servant également à l’accompagnement des élèves en difficulté… qui disait que le collège était trop compliqué à comprendre par les 6e ?
Des aiguillages optionnels illisibles
Prenons un exemple précis. Le latin et le grec qui, nous dit-on, ne seront pas supprimés mais seront renforcés. Il existera un EPI de culture antique, qui pourra être choisi par tout élève à quelque moment que ce soit de sa scolarité parmi plusieurs thèmes. Il pourra être complété, en fonction des choix (et des moyens donnés à l’établissement) par un enseignement qui pourra compter d’1 à 2,5 heures (encore nos fameuses demi-heures !) par semaine. Il pourra être choisi trois années de suite sachant qu’il faudra cependant valider 6 des 8 EPI proposés sur trois ans, ce qui sera possible si l’établissement propose des EPI trimestriels. Suffira-t-il d’avoir suivi un EPI trimestriel pour avoir droit à un enseignement de complément ? Si oui, cette autorisation sera-t-elle valable pour les 3 ans de la 5e à la 3e ? Bref, on fait difficilement plus compliqué en termes d’offre de cours, d’emploi du temps des élèves et des professeurs et d’organisation des enseignements entre disciplines.
La réforme ne répond pas au problème
Il est difficile de trouver des aspects positifs à cette réforme. Bien plus, on ne comprend pas comment elle peut répondre au constat, désormais largement partagé, de l’échec du collège. Il y a là une rupture logique qu’on ne peut s’expliquer. Comment répondre au désarroi des familles par une complexification des cursus ? Comment répondre aux difficultés de certains élèves par l’imbroglio des options et des parcours ? En quoi la suppression des filières dites d’excellence peut-elle permettre aux élèves en difficulté de progresser ? Ne devrait-on pas au contraire les ouvrir à un plus grand nombre d’élèves ? Pourquoi ne pas avoir revu et renforcé les dispositifs d’aide et d’accompagnement dont la Cour des comptes demandait une remise à plat ?
Sous la complexité, une politique d’austérité
La seule explication plausible c’est une politique d’austérité déguisée, la suppression de certaines sections étant censée pouvoir financer les nouveaux dispositifs. Ce n’est pas la première fois que le ministère nous propose de déshabiller Pierre pour habiller Paul, ayant visiblement pris l’habitude de considérer l’éducation comme la fiscalité et les filières d’excellence comme des niches fiscales. Mais il est trop facile d’accuser l’élitisme là où l’on n’a jamais mis les moyens. On constate que la continuité des enseignements est trop souvent mise en péril par une politique de dotation erratique, interdisant aux principaux de voir au-delà d’un an dans la gestion de leurs établissements. L’État finance les dispositifs de manière inconstante et sans se préoccuper de les évaluer.
De leur côté, les professeurs sont ulcérés par la communication du gouvernement qui les désigne à la vindicte populaire tantôt comme des conservateurs, tantôt comme des privilégiés, tantôt comme des idiots ne comprenant rien au projet qui leur est présenté. Ils ne supportent plus le fossé entre les discours et la réalité à laquelle ils sont confrontés chaque jour.
La publication des nouveaux programmes a révélé à l’opinion le jargon infernal dans lequel il est de bon ton de parler dans l’Éducation nationale : la révolte contre la réforme du collège permettra-t-elle de révéler l’imposture d’une école qui prétend offrir le meilleur à tous quand elle impose le low cost ?