Réforme de l’orthographe : tactique et politique
Par Société des agrégés, le 5 février 2016
Voilà qui est habile pour parer la protestation contre la réforme du collège. La polémique sur la nouvelle orthographe permet de faire d’une pierre deux coups : ridiculiser l’adversaire qui apparaît trop rigidement crispé contre l’application d’une réforme vieille de 26 ans et diviser les troupes en montant les protestataires contre l’Académie française qui s’est élevée contre les modifications imposées au collège.
L’affrontement direct n’est pas le fort de la ministre, on le sait et on l’a constaté lors du triste épisode du Supplément sur Canal +. Mais c’est un choix. Elle n’est ni sourde ni aveugle à la révolte qui gronde dans les collèges, elle l’ignore délibérément. Sans aucune estime pour l’adversaire, elle a compris que sur le terrain politique, il suffisait de ne pas lui accorder d’intérêt pour tracer son chemin. Et qui l’y obligerait ? Pas le président de la République, adepte de la même méthode, pas un arbitre qui, comme au judo ou au karaté, la sanctionnerait pour défaut de combativité : aux Jeux Olympiques, l’on peut perdre d’avoir refusé le combat, pas au ministère de l‘Éducation.
À cela s’ajoute la stratégie. Rarement on aura vu calendrier si maîtrisé, art de la communication si habilement déployé. Tout semble prévu pour déstabiliser et affaiblir l’adversaire sans avoir l’air d’y toucher. Il faut dire que l’image des professeurs est si mauvaise dans l’opinion publique que c’est presque trop facile. Une campagne maladroite contre le harcèlement fait réagir les professeurs ? Tout bénéfice pour le ministère qui laissera la documentariste à la manœuvre pour expliquer que les professeurs sont complices du harcèlement. Ce nouvel épisode de l’orthographe joue le même rôle.
L’orthographe modifiée de 1990 n’avait soulevé aucune réaction au moment de la présentation officielle des nouveaux programmes rédigés par le Conseil Supérieur des Programmes, malgré la mention portée sur la première page : « Les textes qui suivent appliquent les rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l’Académie française et publiées par le Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990 ». Il y avait peut-être, dans ces programmes, trop d’énormités à souligner pour s’attacher à la disparition de l’accent circonflexe sur certains mots.
Las, la provocation n’ayant pas réussi à déchaîner les réactions prévues, qu’à cela ne tienne, on rappellera trois ou quatre fois la nécessité de faire usage de cette nouvelle orthographe dans la nouvelle mouture au moment de publier les instructions officielles. Quitte à insister un peu auprès des éditeurs pour qu’ils s’y mettent tous aussi ? Il suffira à M. Lussault de souligner lourdement dans L’Express, en se gaussant, que l’Académie n’est pas « précisément une bande de dangereux gauchistes », pour diviser le front contre la réforme du collège et sous-entendre la rengaine habituelle : l’opposition au ministère est purement politique.
Pendant ce temps, des écoles tombent en ruines, la réforme du collège promet des inégalités territoriales et sociales inédites et des professeurs se suicident. La ministre continuera d’afficher son sourire sur les plateaux télévisés. Non, vraiment, la politique n’est pas un art de combat, elle est pleinement, avec ce ministère, l’art de la ruse et de la manipulation.