Jargon criminel
Par Société des agrégés, le 22 octobre 2012
On nous assomme depuis plusieurs années avec le prétendu élitisme des connaissances disciplinaires et l’inadaptation du savant à des activités d’enseignement. Trop éloigné des élèves, le professeur ― l’agrégé car il est toujours de bon ton de s’en prendre à l’agrégé ― serait incapable de se mettre à leur niveau pour leur expliquer simplement les objets complexes de son étude.
Or ce qui surprend aujourd’hui les parents, voire les professeurs d’autres disciplines, c’est l’invasion d’un jargon technico-pédagogique qui rend totalement obscurs au profane ― élèves compris ― le sens et la portée des exercices que ces derniers sont amenés à faire ou des leçons qui sont proposées à leur étude. Que les parents se rassurent ― s’ils le peuvent ― ils ne sont pas seuls : il arrive souvent qu’un professeur d’Université peine à expliquer la consigne d’un exercice de niveau élémentaire.
Si les perles des précieuses de Molière avaient au moins quelque chose de poétique, ce nouveau jargon, d’une pauvreté accablante mais revendiqué par ceux qui considèrent que sa maîtrise relève d’une « compétence professionnelle » du professeur, s’exerce pourtant au détriment, et de la mission de ce dernier, et de la vision qu’on a de son métier. Loin d’ajouter à son prestige, il le dessert, faisant naître le soupçon : n’use-t-il pas d’artifices pour asseoir une supériorité de mauvais aloi ? Loin d’être un appui pour l’élève, il suscite l’inquiétude des parents : pourquoi ne retrouvent-ils pas les disciplines qu’ils ont connues ?
Ce n’est pas la complexité des objets d’étude qui interdit aux élèves de les comprendre, c’est le langage dans lequel on les présente. Et il est criminel ― et contradictoire ― de s’attaquer aux disciplines pour porter aux nues un discours, faussement technique et réellement creux.