La Crécerelle – Patrick Moran
Le 23 juin 2018
Dans les âges infertiles d’un avenir lointain, des restes de sociétés subsistent çà et là, dans des villes isolées et poisseuses, gouvernées par une vague pègre et le souvenir distant de vieilles chroniques. La Crécerelle fond sur ces résidus d’humanité et les anéantit tour à tour ; elle administre l’extermination sans avarice. Au fil du roman, on voit bien qu’elle a ses raisons, et qu’une métaphysique complexe vient justifier les exactions dont elle ne se prive guère, mais, au demeurant, qu’importe : les victimes, si laides durant leur existence, n’éclatent que de leur propre hideur, et la Crécerelle, comme un nouvel Hercule, comme une purgatrix ferarum ou une lustratrix mundi, élimine des allégories successives de bouffissure et de veulerie bureaucratiques ou d’une épaisse cautèle de reitres abâtardis.
Commencé avec la vigueur brute d’un bon doomlike, cette fantasy se complexifie peu à peu en élaborant les nombreuses voies parallèles d’un occultisme bientôt omnipotent, et en construisant une psychologie qui se déplie par étapes, jusqu’au dénouement. Les projections de cruor, de chair ou de sanie, toujours profuses et aux trajectoires travaillées, sont un objet esthétique majeur du roman, comme chez les grands fontainiers que sont Lucain ou Tarentino, qui dotent tout à coup des êtres sans relief d’un intérêt succinct autant que définitif selon la courbure du jet qu’expriment leur membres tranchés et selon l’étrangeté des spasmes de leurs mutilations. Mais cela ne doit pas masquer la cruelle fable morale et la tragique peinture de ces sociétés de misère d’où le sang, la sève et le sens se sont retirés, et qui, impuissantes en tout et abominables à tous égards, traînent leur existence molle au milieu de bibliothèques obèses et désertées.
Par Hugues Schmitt
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La Crécerelle, Mnemos, 2018, 320 pages