Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue passionné
Par Société des agrégés, le 29 avril 2014
SdA – Vous êtes un adhérent fidèle de la Société des agrégés, ce qui montre un attachement profond à ce concours. Pour vous, que représente l’agrégation ?
J-M Bardintzeff – Je suis un lecteur assidu de la revue que publie la Société des agrégés : elle m’intéresse, me permet de m’informer alors que je suis engagé dans la formation des professeurs et que je participe aux jurys des concours de recrutement. Ma fidélité, bien réelle, tient à l’intérêt suscité par ce travail… L’agrégation est un concours de haut niveau. C’est une réussite, à la fois une victoire et un honneur. Il sanctionne le plus haut niveau dans l’enseignement. Et c’est une porte pour la recherche. On parle de l’agrégation, de son agrégation, avec émotion et respect. Les membres des jurys de l’agrégation sont des gens respectables, éminents, on est honoré d’avoir été entendus et retenus. Lorsque je suis, par la suite, moi-même entré au jury, je me suis dit que je devais être au niveau, que je devais veiller à respecter les candidats, à être serein en notant.
SdA – Que pensent de l’agrégation les jeunes que vous voyez étudier ?
J-M Bardintzeff – Je m’occupe de la préparation à l’agrégation depuis longtemps, chaque année au moins quelques heures. Je vois les jeunes travailler, l’esprit est le même que lorsque j’ai passé le concours. Pour les étudiants, être admis dans le cursus de préparation à l’agrégation est déjà un but en soi, un honneur. L’agrégation reste fascinante. C’est le « top » dans un domaine. Professeur agrégé, on l’est, et on le garde fond de son cœur.
SdA – Et par rapport à votre discipline ? Le volcanologue est-il loin de l’agrégation aujourd’hui ?
J-M Bardintzeff – Je suis volcanologue mais avant tout géologue, et la géologie représente la moitié de l’agrégation des sciences de la vie et de la Terre. La correction d’écrits blancs me permet d’aller au-delà de ma spécialité, de voir large. L’agrégation nous oblige à être plus ouverts, peut-être moins pointus mais à s’intéresser aux interactions entre disciplines. Ce qui est enrichissant, c’est d’élargir le spectre des centres d’intérêts. Dans la carrière, dans l’enseignement supérieur, l’agrégation est ensuite moins valorisée mais elle reste importante.
SdA – Une dimension propre à votre discipline, c’est l’aventure, que pouvez-vous nous en dire ?
J-M Bardintzeff – Il existe une bivalence entre le terrain et le laboratoire, l’aventure et la recherche, la tête et les jambes. C’est un équilibre. Je vais de volcan en volcan mais pour en tirer quelque chose, ce n’est pas une simple promenade. Haroun Tazieff, Michel Siffre, Jacques-Yves Cousteau, Jacques Mayol me faisaient rêver : ce sont des hommes chez lesquels la science, le goût de l’aventure rencontraient le dépassement de soi et de ses limites. C’est toujours un énorme plaisir d’approcher ou de découvrir un nouveau milieu, un nouvel écosystème. Pour aller sur le terrain, il faut avoir une bonne constitution physique, être en bonne santé mais il n’est pas utile d’être champion olympique ! Il faut surtout savoir accepter l’imprévu, s’accommoder de l’inconfort, des contretemps, et supporter une éventuelle déception. Si vous partez voir un volcan, s’il y a une alerte
météo (un cyclone), il faut parfois savoir renoncer, faire demi-tour.
SdA – Prenez-vous beaucoup de risques ?
J-M Bardintzeff – Devant le risque, il faut être modeste. Personne n’a le dernier mot devant un volcan. Il ne faut pas aller trop loin et savoir respecter les lois de la nature. Mon objectif est de ramener des échantillons, pas de prendre de risque pour le risque. Je suis un aventurier raisonné.
SdA – Et à l’université ?
J-M Bardintzeff – En laboratoire, le travail est plus austère mais la rédaction des textes permet d’apprendre beaucoup. Par ailleurs, les échanges sont nombreux et variés : la science rassemble diverses personnalités, j’ai ainsi des amis chers dans différents pays. La communication par internet permet un enrichissement énorme.
SdA – Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?
J-M Bardintzeff – Tout me plaît. J’apprécie la liberté (il y a une souplesse possible dans la répartition des tâches), la diversité (je fais chaque jour quelque chose de différent) et l’équilibre entre toutes les fonctions. Il est vrai que le terrain, c’est la récompense : je suis allé à Hawaï, à Kerguelen, au Japon, en Papouasie… Les dates marquantes, les événements dont je me souviens le plus dans ma carrière, ce sont bien entendu les missions. Les articles c’est moins frappant. Pourtant, je prends également plaisir à rédiger les textes, même quand c’est difficile, la plupart des articles étant écrits en anglais.
J’aime aussi écrire des livres pour le grand public, donner des conférences. Je viens de participer à une journée intitulée « Immersion des lycéens » qui m’a donné l’occasion de rencontrer 350 premières S et de leur faire découvrir les risques volcaniques. C’était un public jeune, vivant et dynamique. J’interviens aussi dans les médias. Mon sujet implique que je puisse répondre rapidement, en direct, je dois pouvoir dire des choses intelligentes en 15 secondes. Il y a 48 h, par exemple, il y a eu un séisme en France. Je dois pouvoir réagir rapidement pour apporter l’information nécessaire. Cette organisation m’empêche de voir le temps passer : chaque matin, je n’ai pas l’impression d’aller travailler même si je ressens un peu de stress parfois vu la densité de l’emploi du temps.
SdA – Vous évoquiez les émissions auxquelles vous participez : quel rapport entretenez-vous avec les médias ?
J-M Bardintzeff – J’ai contribué à des émissions prestigieuses comme à Ushuaia. J’ai beaucoup appris sur le reportage, les techniques, la façon dont les équipes travaillent. C’est un honneur de faire une émission avec Nicolas Hulot, Yves Calvi, Elise Lucet, Mac Lesggy, Yann Arthus-Bertrand…
SdA – Et le public ?
J-M Bardintzeff – Il faut s’adapter à son public. J’ai écrit mon premier livre à 34 ans, c’était un ouvrage dans le cadre d’une collection qui démarrait. Puis, j’ai reçu des demandes de conférence. A l’époque, il n’y avait pas internet, c’est la base Electre, recensant les ouvrages, qui permettait le référencement des travaux et l’accès aux journalistes. J’ai appris à parler en peu de temps, à aller à l’essentiel devant un public parfois peu informé, à reprendre les bases. Il faut savoir dire la même chose dans des temps différents : faire un exposé de 2 minutes pour une interview télévisée qui sera coupée au montage, en disant tout.
Il faut s’adapter aux étudiants mais aussi aux jeunes enfants. Pour les petits, je commence par le spectaculaire, par les images avant de leur proposer une réflexion scientifique. Je leur explique que le scientifique se pose des questions. En 30 ans de rencontres, j’ai acquis ma propre façon de faire. Je constate que les petits sont meilleur public que les élèves plus âgés qui ont d’autres soucis. Ils posent de nombreuses questions et sont très spontanés. Ils sont heureux de voir le matériel que j’apporte (casque, masque à gaz, marteau…). Je remarque qu’avec l’usage d’internet, les jeunes d’aujourd’hui sont plus dégourdis mais peut-être aussi moins ordonnés. Ils possèdent beaucoup de connaissances ponctuelles mais elles se mélangent. L’enseignant a donc un rôle encore plus important. Dans ma discipline, c’est évident : sur les volcans, il y a des dizaines de milliers de sites avec beaucoup de fautes. Sur internet, vous trouvez aussi bien des sites très renseignés que les carnets de voyage d’un père de famille qui a montré l’Etna à ses enfants. Il est donc nécessaire de donner des références, d’apporter des précisions et de revenir à la science. Je remarque aussi que les gens que je rencontre ont pu se renseigner sur mes activités avant mon intervention : ils peuvent donc poser des questions plus précises. Parfois, ils n’hésitent pas à poser des questions sur ma carrière et même, plus récemment, sur ma Légion d’honneur ! Il y a des questions qui débordent la discipline, posées par curiosité. J’y réponds en fixant les limites que je souhaite. C’est très enrichissant.
SdA – Et l’amour de votre discipline qui est le fondement de toutes vos activités ?
J-M Bardintzeff – Je suis tombé dans la géologie tout petit sans raison. Grenoblois, je faisais de longues ballades familiales, à pied d’abord, en 2 CV ensuite. J’ai commencé une collection de minéraux et de « cailloux ». Je nourrissais aussi une passion pour les dinosaures. La géologie souffre malheureusement d’une image négative : on pense à un vieux bonhomme, enfermé avec ses cailloux et ses fossiles poussiéreux. Un peu comme le professeur de chimie est représenté avec les cheveux en l’air en train de faire exploser son laboratoire… Or le volcan, c’est l’imprévu, l’actualité, c’est la preuve que la géologie n’est pas vieille, que la Terre est vivante. Le volcan libère du magma qui se solidifie : chaque jour naissent ainsi des roches plus jeunes que nous ! J’explique souvent qu’il faut connaître l’histoire de la Terre pour comprendre le présent et envisager l’avenir. L’électricité, l’eau courante, c’est de la géologie sans le savoir ! Fabriquer des routes, des barrages, les fondations d’un immeuble : rien ne peut se faire sans la géologie.
Les grands challenges de l’avenir ne pourront être résolus que par la géologie : l’approvisionnement en énergie, en eau, en matières premières, la gestion des risques naturels. La géologie permet de comprendre bien des aspects de l’histoire de l’humanité, les échanges, le commerce mais aussi les conflits autour des ressources naturelles (étain pour l’empire romain, charbon pendant la première guerre mondiale, pétrole pour la guerre du Golfe).
La géologie est une science dont le passé est un tremplin pour l’avenir. Le géologue apparaît alors comme un expert incontournable. En géologie, on peut s’améliorer chaque jour, après avoir beaucoup vu : c’est une expérience qui s’accumule. Certains disent que la phase d’or en mathématiques se situe entre 20 et 30 ans, c’est le moment où le cerveau travaille le plus. Les champions sportifs sont « vieux » très jeunes ! Les géologues, eux, mettent plus de temps mais acquièrent toujours de nouvelles connaissances, à chaque événement. Ainsi, l’Islande il y a 4 ans, a révélé un impact peu connu sur la circulation aérienne. C’est la première fois qu’on voyait tout un continent bloqué. En 1986, le lac Nyos au Cameroun a libéré du gaz carbonique. Une commission a été créée pour réfléchir, pour savoir s’il fallait surveiller d’autres lacs. C’était un type d’éruption inconnu qui demandait une
nouvelle réflexion. Un livre qui a 20 ans en volcanologie date déjà. Il faut revoir les choses différemment, prenant en compte les éruptions récentes. La Société géologique de France conserve des mémoires depuis plus de 100 ans. On vend encore le livre sur les ammonites mais sur les volcans, une bonne partie est fausse ! La théorie de la tectonique des plaques en 1968 a permis de comprendre autrement la logique de la planète Terre. Les progrès de l’information ont aussi beaucoup fait évoluer la discipline. Avant l’information passait plus difficilement. Désormais, chaque matin, je regarde le volcan qui m’intéresse par webcam. Je peux suivre les séismes à l’autre bout de la planète. Mes débuts, il y a une trentaine d’années, semblent dater de la préhistoire !
SdA – Avez-vous un volcan préféré ?
J-M Bardintzeff – Celui d’Hawaï, qui s’appelle le Kilauea. C’est un volcan lavique, effusif, extrêmement actif depuis 30 ans, presque continuellement en éruption. J’ai pu voir sur place, à trois reprises, ses éruptions. Elles étaient toutes différentes. J’ai un souvenir, en particulier, avec ma femme et ma fille. En 2013, pour ma fille, c’était son premier volcan : pour moi, pour elle, c’était un moment historique. Je n’ai cessé de lui conseiller de profiter au maximum de ce moment magique mais trop court qu’elle ne vivrait qu’une fois dans toute sa vie.
SdA – Que conseilleriez-vous à un enfant souhaitant devenir volcanologue ?
J-M Bardintzeff – Il y a des besoins constants en géologues. Le terrain exige une bonne santé et une bonne adaptabilité. C’est ce qui rend les
géologues très prisés, même dans une autre branche. Pour le volcanologue, c’est un peu différent. Nous sommes très peu : quelques dizaines en France, quelques centaines dans le monde. Il faut tenter sa chance en prévoyant une deuxième voie (une deuxième branche d’étude comme l’exploitation des images aériennes ou satellites, l’hydrogéologie, les matières premières). Et si on ne peut pas rentrer par la porte, il faut savoir, à l’occasion d’une collaboration par exemple, entrer par la fenêtre !
Merci à Jacques-Marie Bardintzeff, SVTU 1977